La révolution du tennis au Kazakhstan : comment un investissement systémique permet de former des champions

July 18, 2025

Au cours de la dernière décennie, le Kazakhstan est passé du statut de nation prometteuse dans le domaine du tennis à celui de redoutable concurrent sur la scène internationale. Le triomphe d’Elena Rybakina à Wimbledon, l’ascension régulière d’Alexander Bublik et l’émergence d’une nouvelle vague de juniors classés parmi les meilleurs ne sont pas le fruit du hasard ; ils sont le résultat d’une stratégie à long terme méticuleusement mise en œuvre.

Dans une interview accordée au Times of Central Asia, Yuriy Polskiy, président de la Fédération asiatique de tennis et vice-président de la Fédération de tennis du Kazakhstan (KTF), explique comment des investissements stratégiques, des partenariats publics-privés et une approche locale ont profondément transformé le paysage tennistique du pays.

TCA : Les joueurs de tennis kazakhstanais ont récemment fait la une des journaux lors de grands tournois internationaux. Comment évalueriez-vous la position actuelle du Kazakhstan sur la scène tennistique mondiale ? Les succès d’Elena Rybakina et d’Alexander Bublik, ainsi que l’émergence de juniors de haut niveau, sont-ils le résultat d’un travail systématique ou d’une simple coïncidence ?

Polskiy : La chance joue un rôle dans la carrière de tout athlète, mais elle est éphémère. Les résultats du Kazakhstan, tant chez les professionnels que chez les juniors, sont constants, ce qui témoigne de l’efficacité du système. Au cours de la dernière décennie, nous avons vu de nombreux joueurs se classer parmi les 30 meilleurs mondiaux : Shvedova, Voskoboeva, Kukushkin, Golubev, Korolev, Nedovyesov et, plus récemment, Diyas, Putintseva, Danilina, Bublik et, bien sûr, Rybakina. Ensemble, ils ont remporté quatre titres du Grand Chelem, atteint plusieurs finales en simple et en double, et gagné des tournois WTA 1000, 500 et ATP/WTA 250.

Parmi les juniors, des talents tels que Dastanbek Tashbulatov, Amir Omarkhanov et Sonya Zhienbayeva se sont classés dans le top 5 et le top 20 de l’ITF. Nos équipes nationales des moins de 14 ans et des moins de 18 ans ont atteint le top 4 mondial et ont régulièrement battu des puissances traditionnelles telles que l’Australie, la France, l’Italie et l’Argentine. Ces résultats soulignent la solidité du programme national d’entraînement du Kazakhstan et la vision à long terme de la Fédération.

En 2024, le Kazakhstan comptait six joueurs dans le Top 100 junior de l’ITF, dont trois dans le Top 50. Sept autres joueurs de moins de 14 ans figuraient dans le Top 100 de Tennis Europe, soit plus que l’Italie, actuellement en tête dans cette catégorie. Il est à noter que ces 13 juniors de haut niveau sont tous nés et ont grandi au Kazakhstan, ce qui souligne le succès d’un modèle de développement national structuré qui allie soutien public et initiative privée.

TCA : Quelle est la vision stratégique de la fédération pour les cinq à dix prochaines années ? Quelle est la portée de l’infrastructure et existe-t-il des projets d’expansion dans des villes plus petites ?

Polskiy : Depuis 2007, date à laquelle l’homme d’affaires et philanthrope Bulat Utemuratov est devenu président de la KTF, le Kazakhstan a construit 38 grands centres de tennis, chacun comprenant au moins six courts, soit un total de 364 courts en dur et en terre battue dans tout le pays. Au cours des 17 dernières années, plus de 150 millions de dollars ont été investis dans les infrastructures. Des centaines d’entraîneurs ont été formés, en particulier pour les programmes destinés à la petite enfance. Le nombre d’entraîneurs certifiés par l’ITF a presque doublé en cinq ans, dépassant aujourd’hui les 400.

Le développement des infrastructures a considérablement réduit les coûts d’entraînement : le prix de location horaire d’un court est passé de 50 dollars en 2007 à seulement 10 dollars aujourd’hui. Des installations existent désormais dans 16 des 18 capitales régionales et dans des villes plus petites comme Lisakovsk. Les grands complexes d’Astana, d’Almaty, de Shymkent, de Karaganda, d’Aktobe et d’Oust-Kamenogorsk comprennent chacun six courts couverts et dix courts extérieurs, permettant à plus de 1 000 enfants par ville de s’entraîner régulièrement.

Cependant, la demande continue de dépasser l’offre. À Astana et Almaty, chaque centre a une liste d’attente de 500 à 600 enfants. Pour y répondre, de nouveaux complexes haut de gamme sont en cours de construction, notamment un complexe de 14 courts à Almaty et un autre à Astana. En outre, la Fédération collabore avec le ministère de l’Éducation pour introduire le tennis dans les jardins d’enfants et les écoles, afin de garantir l’accès aux enfants des régions éloignées.

Des partenaires internationaux tels que Lexus jouent un rôle crucial en finançant l’équipement et en soutenant la formation et la certification des entraîneurs. Ces partenariats contribuent à garantir une croissance inclusive et durable.

TCA : Dans quelle mesure le système d’entraînement du Kazakhstan est-il prêt à former de nouvelles stars ? Fait-on encore appel à des spécialistes étrangers ?

Polskiy : Notre priorité est de former des joueurs et des entraîneurs locaux. Ces deux aspects vont de pair : un entraînement solide permet de développer les talents, et le fait de travailler avec des athlètes de haut niveau améliore l’expertise des entraîneurs.

Par exemple, l’année dernière, Eva Korysheva, d’Aktobe, entraînée par Pavel Tsoy, est devenue la meilleure joueuse asiatique des moins de 14 ans et a participé à l’AO Elite Trophy en Australie. En accompagnant son entraîneur, Pavel a pu acquérir une expérience directe d’un événement de niveau Grand Chelem, une opportunité inestimable.

Nous mettons l’accent sur le maintien du lien entre un joueur et son premier entraîneur. Des séminaires et des initiatives éducatives viennent soutenir cette démarche, et lorsque des experts étrangers sont invités, les entraîneurs locaux travaillent à leurs côtés. D’anciens joueurs tels que Dastanbek Tashbulatov, Ayap Sagadat et Zhansultan Chembotaev font désormais partie de l’équipe du Kazakhstan et forment la prochaine génération sous la houlette de mentors internationaux.

TCA : Combien d’enfants jouent actuellement au tennis au Kazakhstan ? Quel soutien existe-t-il pour les talents régionaux ?

Polskiy : Plus de 30 000 enfants jouent aujourd’hui au tennis au Kazakhstan. Environ 3 500 d’entre eux bénéficient d’un entraînement gratuit et participent à des tournois sans frais. De nombreuses équipes régionales profitent de la gratuité ou de réductions sur les heures creuses pour utiliser les courts.

Les 150 meilleurs joueurs de moins de 14 ans sont inscrits à un programme national de développement. Trente-deux autres athlètes plus âgés bénéficient d’un financement total ou partiel grâce à la bourse Team Kazakhstan. La sélection est basée sur les performances lors des tournois nationaux et sur les évaluations d’experts.

Les événements par équipe tels que les Coupes du Kazakhstan U12 et U14 sont essentiels pour découvrir des talents, car ils stimulent les entraîneurs, motivent les jeunes athlètes et permettent d’identifier rapidement les joueurs exceptionnels. Inspirée par l’Italie et le Canada, la Fédération a mis en place des systèmes d’identification des talents dans tous les centres régionaux et continue d’investir dans l’organisation de tournois nationaux et internationaux. Les familles sont des partenaires essentiels, tant sur le plan logistique que sur le plan émotionnel, pour assurer un succès à long terme.

TCA : Quels sont les objectifs des équipes nationales lors d’événements tels que la Coupe Davis et la Coupe Billie Jean King ? Quel rôle jouent des stars telles que Rybakina et Bublik ?

Polskiy : L’équipe masculine vise à revenir dans le groupe mondial de la Coupe Davis, tandis que l’équipe féminine vise la victoire dans la Coupe Billie Jean King. Nous pensons que ces deux objectifs sont réalisables.

Ces victoires inspirent la prochaine génération. Les jeunes joueurs veulent imiter Rybakina, Bublik, Putintseva et Zhukayev. Nous organisons régulièrement des masterclasses, donnant aux enfants l’occasion de rencontrer ces stars, de s’entraîner avec elles et d’apprendre à leurs côtés, ce qui renforce leur confiance et leur motivation.

TCA : Le Kazakhstan a-t-il une chance réaliste de remporter prochainement un Grand Chelem ou un championnat du monde par équipe ?

Polskiy : Absolument. Elena Rybakina a déjà remporté Wimbledon. Yaroslava Shvedova détient deux titres du Grand Chelem en double. Anna Danilina a remporté le double mixte. Rybakina a également terminé quatrième aux Jeux olympiques de Tokyo, manquant de peu une médaille.

Nos équipes nationales ont battu des adversaires de classe mondiale, notamment l’Italie, l’Allemagne, le Japon, l’Argentine, la Suisse et l’Australie. Avec un soutien et une expérience adéquats, nous sommes convaincus que nos quasi-victoires se transformeront en titres.

TCA : Le financement de la fédération est-il stable ? Qui sont les principaux bailleurs de fonds ?

Polskiy : La stabilité financière est l’un de nos principaux atouts. Le président de la fédération, Bulat Utemuratov, soutient la KTF par des investissements personnels et des partenariats à long terme. Notre relative indépendance vis-à-vis des financements publics nous permet d’élaborer des plans cohérents à long terme, sans être affectés par les changements politiques ou économiques.

L’obtention de la licence pour accueillir un tournoi ATP 250 au Kazakhstan a constitué une étape importante. Cet événement annuel suscite l’intérêt du monde entier et attire de nouveaux sponsors. Par exemple, Lexus soutient l’initiative « Tennis for Life », KPMG soutient le tennis en fauteuil roulant et de nombreuses entreprises sponsorisent désormais des tournois juniors et des joueurs régionaux.

TCA : Quels sont les principaux défis auxquels le tennis kazakhstanais est confronté aujourd’hui ? Quels sont les objectifs fixés pour les cinq prochaines années ?

Polskiy : Nos priorités immédiates sont d’obtenir le plus grand nombre possible de places aux Jeux olympiques et paralympiques, de remporter des titres du Grand Chelem juniors et seniors, et de remporter la Coupe Davis et la Coupe Billie Jean King.

Pour atteindre ces objectifs, il faut être unis. C’est pourquoi nous investissons massivement dans le développement du capital humain de la Fédération, la préservation des connaissances institutionnelles, la continuité et l’amélioration de notre infrastructure de soutien.

TCA : Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux jeunes joueurs qui débutent dans le tennis̊?

Polskiy : Le tennis est le reflet de la vie. Sur le court, vous faites des choix, vous assumez les conséquences et vous grandissez à travers les échecs. Un match n’est pas terminé avant le dernier point, il y a donc toujours une chance de revenir. Le tennis ne forme pas seulement des champions, mais aussi des personnes résilientes. Chaque défaite est une leçon. Ce sport est un parcours de développement personnel qui dure toute la vie.

Source : The Times of Central Asia

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