Qualifié pour sa première demi-finale en Masters 1000, le 16e joueur mondial est un modèle au Kazakhstan, où son profil aussi clivant que fascinant fait l’unanimité et participe au développement du tennis. C’est de bonne guerre, et au fond il y a beaucoup de « je t’aime moi non plus » entre Alexander Bublik et Paris.
S’il n’a pas ménagé le public francilien mardi en égratignant copieusement Corentin Moutet après sa victoire au deuxième tour, n’y allant pas de main morte sur le trash talk, le Kazakhstanais se plaît très bien dans la capitale cette année. Au fond du seau en début de saison, il sait bien que c’est à Roland-Garros qu’il a ressuscité en juin dernier en atteignant son premier quart en Grand Chelem.
Devenu un tout autre homme, le 16e joueur mondial a depuis empilé quatre titres en autant de finales et un total de six victoires, série en cours, contre les membres du top 10 cette saison. Et il en a déjà fait tomber deux cette semaine, se payant Taylor Fritz (4e) en deux sets jeudi puis Alex de Minaur (6e) vendredi après un très gros combat (6-7 [5], 6-4, 7-5), avant de tenter la passe de trois cet après-midi contre Félix Auger-Aliassime (10e).
Cette constance, inattendue pour le joueur le plus imprévisible du circuit, le propulse, à 28 ans, aux portes du top 10 mais aussi pour la première fois en demi-finales d’un Masters 1000. Il devient ainsi le premier Kazakhstanais, chez les hommes, à atteindre le dernier carré dans cette catégorie. Une marque symbolique pour celui qui est l’attraction du pays d’Asie centrale, où son excentricité et ses pétages de câbles à répétition n’ont pas terni sa réputation. Bien au contraire même, Bublik étant élevé au rang d’exemple à suivre et de « role model » dans son pays d’adoption depuis 2016.
Façonné en Russie, il avait rejoint à 19 ans comme bien d’autres avant et après lui le projet du voisin kazakhstanais, qui a longtemps misé sur de jeunes joueurs russes en quête de financement pour franchir les paliers au niveau mondial. Bientôt dix ans plus tard, le pays tente de faire évoluer son développement, en attirant « ses » jeunes vers le tennis pour concurrencer le hockey sur glace et les sports de combat. Joueur à part, plaidant pour une vision du tennis et du professionnalisme pour le moins éloignés des standards habituels, l’excentrique Bublik n’en reste pas moins, avec Elena Rybakina, sacrée en Wimbledon en 2022, l’argument de vente majeur.
« Il participe pour beaucoup à l’attractivité de notre sport chez les jeunes» , explique Bulat Utemuratov, le milliardaire président de la fédération, à l’origine du développement massif du tennis kazakhstanais. Je sais qu’il y a eu beaucoup de bruits sur sa nationalité. Mais notre projet n’est pas d’attirer des joueurs déjà établis, nous donnons une chance à des talents, et Bublik était dans cette situation. Il a commencé à représenter le Kazakhstan bien avant d’être au top, il est venu vers nous parce qu’il était en difficulté.
C’était son chemin vers le tennis professionnel. Maintenant, il inspire nos jeunes, c’est très important pour nous d’avoir un champion identifié qui apporte la passion. » Lui aussi naturalisé depuis 2024, Alexander Shevchenko (99e) est témoin de l’attractivité de son partenaire de Coupe Davis. « Il est tellement puissant médiatiquement ici. C’est en partie grâce à son caractère et son style de jeu. Beaucoup de personnes s’intéressent au tennis pour le voir faire des coups que seul lui sait faire, il est très fort pour ça.
» Placardé sur toutes les affiches de l’ATP 250 d’Almaty début octobre, Bublik a fait honneur à sa réputation d’insaisissable en faisant faux bond aux organisateurs quelques jours avant le tournoi. Mais ça ne l’empêchait pas d’être au centre de toutes les discussions, surtout chez les jeunes issus de la formation locale. « Il partage tout et va naturellement nous aider, racontait Amir Omarkhanov, 17 ans et 1002e à l’ATP. On a tapé plusieurs fois ensemble à Wimbledon et Roland-Garros et il fait en sorte que tout soit facile et cool. C’est lui qui fait le premier pas, ça fait que je suis détendu quand je suis avec lui, c’est simple. »
« C’est clairement un exemple pour le pays, poursuit Beibit Zhukayev, 292e mondial. C’est toujours mieux d’avoir ces grands joueurs avec nous que contre nous. Pour les juniors et même les plus jeunes, il est le plus inspirant, j’ai fait partie de ces jeunes qui l’ont pris en exemple pour franchir les étapes, gagner des matches et des tournois. Il montre la marche à suivre. »
Avec sa victoire vendredi face à Alex de Minaur, Alexander Bublik vient d’aligner un sixième succès de rang contre des joueurs du top 10.
SOURCE: L’Equipe